Mais Il avait peur. C’était encore plonger dans un abîme, la tête encore vivante, comme une violence insoutenable pour le reste de l’être. Encore pouvoir observer, mais sans comprendre, tentant de ne plus éprouver cette agitation horrible qu’est le deuil et même désirer mourir pour se délivrer de l’inconfort. Se dire que la patience est une vertu et maudire la morale, car celle-ci ne fait que taire les tourments du malade. Félix était dans ce torrent circonstanciel du presque concubin qui s’inquiète, qui se meurt à petit feu de l’amour qui vit encore pour elle en dépit de connaître l’issue ultime de son retard, de son absence et de son insouciance fortement présumée. L’angoisse se bâtissait comme le cocon de la chenille qui choisit de se soumettre à la délivrance en passant par la transmutation. « Folle qui parcourt la vie en coup de tête, en coups de théâtre, sauras-tu inverser le mouvement tranchant de la guillotine et revisser cette tête sur tes épaules? » Que de longs moments de travail sur lui-même il lui fallait pour accepter, dans toute cette magnificence, l’amoureuse imprévisible…
Sanglant de perplexité, les mots se bousculaient dans le torrent d’ émotions. Félix essayait de tout exprimer et de tout comprendre à la fois. Merline se tenait devant lui, la gorge nouée comme s’il lui avait présenté la brique et le fanal. Comme si, dans son regard, il y avait une menace. Elle était coincée dos à l’évier entre les bulles de l’étourderie et les éclairs de son orage. Elle se déroba avant que la tempête n’éclate pour de bon en décrochant le téléphone. Ainsi elle était sauvée pendant que Félix déboulait à contre-courant l’escalier. Il courut vers la chambre, saisit un oreiller et ouvrit enfin le robinet de sa souffrance dans un dépouillement étonnant.
Comme une montgolfière laissant tomber ses poids, elle s’était envolée et s’était détachée de ses liens avec le monde terrestre, de la pression qu’elle se créait elle-même et de tous ses engagements. Merline avait compris que l’art de rendre fou était d’entretenir une passion avec l’esprit en oubliant la réalité physique. Le drame était de ne vivre que pour le subtil en niant les besoins du corps et ceux-ci ne pouvaient être remplacés ni par la parole, ni par les écrits. Cependant, Félix avait besoin d’un bonheur autre que celui de la solitude.
La plénitude était dans un battement. Les pieds sur les pédales et les mains occupées avec les baguettes, Il rompait le silence en fracassant sa cadence intérieure sur le musée de tambours de son amour. Il explorait le tempo et l’espace du son sur les peaux tendues. Il avançait graduellement dans le corridor des percussions et Félix découvrait le langage des cymbales, qui en éclairs, donnaient un sens nouveau aux sons terreux des malheurs.
Elle avait rendez-vous avec l’imprévu, une sorte de délivrance des contraintes sociales. Cet ange insoumis existait pour découvrir. L’inconnu devenait son exil, insaisissable était son pseudonyme. Merline parcourait dans son coeur tous les pays du monde et rêvait de partir, à la façon d’une nomade, vers l’orient. Elle portait en elle le désir de l’exploratrice, qui en pensée, multiplie les sens que l’on peut donner au mot existence.
***
Félix avait donc décidé de passer cette vie à la comprendre à la place de devenir fou. Toujours il jonglait avec les idées, essayant d’agencer les messages qui lui parvenaient de toutes part en une rassurante cohésion. Il n’avait pas encore réussi à saisir le sens de la vie, car ses réponses trouvées ne prenaient que quelques circonstances pour devenir à nouveau des questions. Le soleil demeurait pourtant toujours le même, reprenant sans cesse son mouvement apparent d’est en ouest. Pourtant il y avait sûrement des dimensions que nous n’avions pu explorer depuis le début des temps, se dit-il, et qui se vérifiaient par des moyens encore insoupçonnés. Il songeait que nos sens nous limitaient et qu’il lui fallait découvrir la façon d’amplifier tout ça afin de visiter ce que personne n’était allé visiter auparavant.
(périple à poursuivre)
Lipstick